Mirna Valerio : « Tout le monde peut le faire »

Ultra-marathonnienne, autrice et militante, Mirna Valerio se donne des objectifs très audacieux. En général, ses temps de course ne sont pas ses objectifs. En revanche, franchir la ligne d’arrivée et se dépasser, oui.

Mirna Valerio

« Le Mont Jo était la première montagne que j’ai foulée. Comme un premier baiser, c’était un moment brouillon, imprévisible et enivrant. Même si désagréable par moments, cette expérience dans son ensemble m’a révélé cette passion pour la montagne qui commençait à peine à libérer mon âme de sa coquille.

Lorsque j’étais en quatrième, nous sommes partis camper avec plusieurs camarades pendant un long week-end d’avril. Quelques-uns de nos professeurs s’étaient alors proposés de nous accompagner tout au long de ce séjour glacial. On avait adoré l’expérience, notamment parce que les professeurs nous avaient emmenés en dehors de la ville pendant 4 jours, dans cette nature pas encore verte d’où beaucoup d’entre nous repartiraient changés.

Les nuits étaient froides, on frissonnait dans la cabane, sous nos sacs de couchage trop fins. On se serrait les uns contre les autres, grelottants. Au bout d’un moment, calmés et lassés de rester à l’affût des ours qui viendraient rôder, nous nous sommes endormis.

La première journée, nous sommes sortis randonner : une expédition pour la journée entière où nous avions emprunté un parcours difficile, mais nos professeurs savaient qu’on pouvait tous le faire, car on était forts et débrouillards. Il suffisait de travailler ensemble et d’aller jusqu’au bout. « Tout le monde a bien ses deux sandwiches ? Ses boissons ? Ses en-cas et ses chaussettes de rechange ? Des gants, un chapeau ? » Oui, oui, oui et oui. « Son binôme ? » Oui.

J’étais en binôme avec Maria. On était les filles les plus grosses et les plus grandes du groupe. On s’est retrouvées presque immédiatement à l’arrière, mais dans l’ensemble, on a réussi à suivre le groupe. Parfois, on se hissait l’une et l’autre pour enjamber un arbre tombé ou pour descendre d’un rocher glissant encore recouvert de glace. On se rassurait mutuellement dans les segments raides.

Nous y sommes arrivées, même si c’était la chose la plus difficile que j’avais jamais faite. La randonnée était longue, car on était parties depuis notre campement. Je me suis dit que les vues étaient quand même incroyables. J’étais si heureuse d’être là et pas à Brooklyn, et d’être avec ma nouvelle amie, Maria, qui se fichait bien de savoir que j’étais timide et silencieuse. Elle aussi, elle l’était. On était deux filles grosses et fortes, des aventurières – plus lentes que les autres pour atteindre la ligne d’arrivée, mais quand même capables d’aller au bout.

Les montagnes ont fait leur retour dans ma vie à l’âge adulte. Mont Bierstadt a été ma toute première « fourteener », ces montagnes majestueuses qui trônent dans les cieux à plus de 4 200 mètres. Contrairement au Mont Jo, gravir le Mont Bierstadt s’est apparenté à une histoire d’amour sinueuse, jalonnée de montées longues et difficiles, et marquée par la joie d’arriver au mauvais sommet (et son sentiment d’accomplissement trompeur). Atteindre le véritable sommet, c’était le baiser tant attendu, même sur des lèvres gercées.

Lorsque je suis arrivée au point de départ du sentier de Guanella Pass pour retrouver ma nouvelle amie Theresa, j’étais déjà bouleversée après avoir conduit sur la route escarpée en lacets qui menait à notre rendez-vous. Je me suis fait la réflexion que j’avais peut-être eu les yeux plus gros que le ventre. En effet, en regardant l’énorme masse de roche, entourée d’un alpage froid et vaste, j’ai éprouvé un sentiment d’échec – ou, du moins, d’échec potentiel.

Mon coach avait ajouté ce parcours à mon planning d’entraînement pour me préparer aux difficultés qui m’attendraient lors de la TransRockies 2018, une course en étapes de 6 jours. Je commençais même à envisager l’idée de renoncer à notre quête d’arriver tout en haut, car même s’il faisait encore sombre, se tenait là, devant nous, un mastodonte de la nature, dans toute sa puissance et son indifférence.

Avec Theresa, on était les personnes les plus grosses sur le sentier (et peut-être habillées avec les couleurs les plus vives !). On a commencé le trek vers le sommet à 5h30. Chacune aidait l’autre en localisant les cairns, par exemple, ou en criant « Prends à gauche du rocher, c’est instable. » On piochait dans les stocks d’hydratation de l’autre. On partageait nos en-cas en s’assurant que l’autre était bien hydratée, protégée des rayons du soleil et pas trop étourdie. C’était dur, mais on avait de l’expérience en matière d’expéditions dans la nature et de trail. On savait que le plus difficile était encore à venir, mais on était déterminées à tout donner, juste pour le plaisir de le faire. On savait aussi très bien où rebrousser chemin si des nuages orageux venaient assombrir l’horizon. Si l’on n’avançait pas assez vite, on reviendrait sur nos pas pour nous mettre en sécurité, pour ne pas se retrouver sur une arête exposée pendant un des orages qui éclataient presque tous les jours, au sommet de la montagne.

Au début de notre ascension, la matinée s’annonçait très longue. Le sentier nous a menées à travers les prés et le long d’un petit plan d’eau sur la gauche, avant de tourner progressivement dans l’autre sens pour monter. Au début, le parcours était assez facile, nous laissant penser qu’on avait ce qu’il fallait pour y arriver. Pourtant, à un moment, on a toutes les deux ressenti des vertiges. Je connais cette sensation. C’est exactement ce qu’on ressent à 12 000 pieds de haut (3 600 mètres) et quand on respire un air avec une faible teneur en oxygène. On en a tenu compte avant de poursuivre notre chemin, sans oublier de boire et de grignoter nos en-cas.

Vous avez besoin de motivation pour vous mettre en marche ? Regardez cette vidéo avec The Mirnavator.

De temps en temps, on s’arrêtait pour prendre en photo les panoramas à couper le souffle qui nous entouraient. De la neige, là, sur cette montagne ! Nos voitures sont au loin, là-bas – c’est de là qu’on est venues ?! Ces fourmis sont des personnes ! Regarde au loin et prends un air songeur, OK ? WOW, c’est là qu’on va ?

Plusieurs personnes nous ont dépassées, en chemin vers le sommet. Ça va ? Pas de problèmes ? « Non, tout va bien, merci. » On avançait doucement (comparé à la plupart des autres randonneurs), mais sûrement, on faisait des pauses quand c’était nécessaire. On a donné de l’eau à un jeune homme qui pensait ne pas en avoir besoin sur un trajet aller-retour de 11 kilomètres, avec un dénivelé positif de 820 mètres, à plus de 3 300 mètres d’altitude. On a doublé une famille avec un adolescent qui avait du mal à suivre, même en faisant de son mieux.

Tous les guides papier décrivent ce parcours comme « facile et agréable ». Comme je n’avais aucune expérience sur les montagnes de cette altitude, j’étais enthousiaste à l’idée de ce trajet « agréable ». Ça a été tout sauf facile et agréable… sauf peut-être quand il s’agissait de regarder les alpages verdoyants au pied de la montagne. Les petites fleurs sauvages qui poussaient dans l’herbe étaient agréables à regarder.

On a grimpé, grimpé. En alternant lentement nos positions. Theresa prenait un peu d’avance, moi, des selfies, puis on alternait, je repassais devant, je la prévenais quand je voyais les cairns parce qu’on avait déjà dépassé la limite de la forêt. On a grimpé, grimpé, trébuchant parfois sur un petit rocher.

« C’est une préparation mentale » , m’a dit mon coach.
« Physiquement, tu peux le faire. Mais la montagne va jouer avec tes nerfs, ta condition physique et tes émotions » .

Par sa seule ampleur, elle paraîtra impossible à escalader, impossible à atteindre, trop difficile pour vos capacités, hors de portée. Ce n’est pas le cas. Laissez vos pieds suivre votre cœur. Tout le monde peut le faire.

Et, comme Theresa et moi l’avons découvert, tout ce qu’il nous fallait, c’était des connaissances, une carte, un bon équipement, de la préparation physique, un esprit clair et la volonté d’avancer en suivant le rythme de la nature. On portait des vestes imperméables, de la crème solaire spéciale pour la montagne, des chaussettes en laine chaude, des bandeaux, des gants fins, des lunettes de soleil polarisées, des montres sophistiquées avec des altimètres – et on était très anxieuses.

On a continué notre progression vers le haut, atteignant enfin les derniers 400 mètres avant le sommet, en scrambling. Le scrambling est peut-être l’activité que je préfère, après la course et le lacrosse. Cette pratique mobilise tout votre corps et demande de la planification, de l’équilibre, de la force et la volonté d’accepter l’instabilité. On a monté, encore, étirant nos membres forts et agiles au-dessus et en-dessous des rochers, en utilisant notre poigne pour faire levier, nos abdos pour la stabilité – les yeux rivés sur le sommet.

Quelques cairns plus loin, on approchait du sommet, où tous les gens qui nous avaient doublées s’étaient installés. Certains prenaient des photos du panneau indiquant l’altitude, d’autres, tout simplement assis, s’imprégnaient du superbe panorama. Leur tête oscillait ou s’inclinait, en pleine méditation.

Une jeune fille, venue randonner avec ses parents, était ravie de nous voir. « Oh ! Vous voilà ! Je suis si contente que vous ayez réussi ! J’espérais que vous y arriveriez ! »

Avec Theresa, on s’est assises sur deux rochers libres pour manger nos en-cas, prendre d’autres photos et vidéos, marquées par nos rires et la gratitude envers nos corps, qui avaient fait leur travail. On avait peut-être les lèvres gercées, on avait peut-être du mal à respirer, mais nos cœurs étaient gonflés par l’immensité de ce que la montagne nous avait permis de faire, elle qui nous avait accueillies sur ses sentiers. Et vous, quelle est votre montagne préférée ? On pourrait y faire du scrambling ensemble ? Découvrez mon livre, ou rejoignez la Team Mirna pour un stage de trail running. »

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