Huit jours en mer, pour naviguer des Açores à l’Irlande.

“D’une mer d’huile n’est jamais sorti un marin chevronné “

Les prévisions météo nous offraient une fenêtre plutôt intéressante pour hisser les voiles. Sofia, Benoit et moi remplissions le bateau de nourriture, d’eau, d’une réserve de bombonnes de gaz et de tout autre matériel utile au cas où notre traversée serait plus longue que prévue. Le Search se balançait paisiblement à quai à Horta. Des voiliers entraient et sortaient du port avec à leurs bords des équipages heureux et assoiffés d’aventures. Dans quelques heures, ce serait notre tour d’y aller et d’accomplir notre première longue traversée. De Horta (Açores) à Kinsale (Irlande), ce qui est une navigation plutôt inhabituelle, nous avions estimé avoir 7 jours de mer avant d’atteindre les côtes d’Irlande. Je regarde ma montre, il est l’heure ! Nous devons y aller.

Sofia est à la barre, Benoit largue les amarres tandis que je garde un œil à tribord. Je fais un signe vers le quai, au capitaine de port qui nous avait souhaité des vents favorables.

Le Search glissait sur la mer ; la côte de Faial disparaissait déjà au loin. Nous avons décidé de fêter notre premier jour à bord avec un bon dîner. Les premières 24 heures en mer sont toujours très excitantes. Il y a tellement de choses à espérer et le mystère de ce qui est à venir vous garde éveillé. Ce soir-là, nous avons profité d’un magnifique coucher de soleil agrémenté de la présence joyeuse d’un groupe de dauphins communs venus nous saluer. Une heure plus tard, la dernière parcelle de terre des Açores était loin derrière nous. Maintenant, nous n’avons plus que 1.200 miles nautiques à admirer.

Les jours suivants, une nouvelle routine s’était installée. Très différente, toutefois, de celle qui aurait pu normalement s’appliquer sur la terre ferme. Nous prenions notre petit déjeuner à midi, le déjeuner était servi à 18h et nous dînions à minuit. Le reste de la journée, je passais mon temps à réparer de petites choses à bord ou à la barre à faire la course avec les vagues et, bien sûr, à avoir de belles conversations existentielles avec Ben et Sofia. C’est un des côtés de la vie en mer que je préfère. Vous êtes amené à vraiment bien connaître les gens qui vous accompagnent. Quand vous vivez dans un espace aussi réduit, vous ne pouvez pas vous cacher derrière un masque bien longtemps. Vous devenez transparent et vous acceptez les autres tels qu’ils sont réellement.

Bien sûr, quand vous passez plusieurs jours en mer, vous ne pouvez espérer des conditions idéales en permanence. C’est alors que vous réalisez à quel point il est important de vous reposer durant les périodes prévues à cet effet ; vous devez disposer de l’énergie nécessaire à être bien éveillé et prêt à l’action si quelque chose arrive… ce qui ne manque jamais de se produire.

L’air s’épaissit, les vagues grossissent et les nuages s’assombrissent. Trois indicateurs qui vous avisent de vous préparer à ce qui arrive. J’enfile mon gilet de sauvetage et je le clipse à la ligne de survie. Je donne les deux autres à Sofia et Ben qui en font de même. Quelques gouttes nous tombent sur la tête et, en une poignée de secondes, la pluie tombe par seaux. Une rafale de vent manque de coucher le bateau. Je cours vers le mât et je prends deux récifs, puis je roule sur la moitié du génois. Avec seulement un tout petit peu de voile, le bateau atteint une vitesse de 8 à 9 nœuds. Le pilote automatique continuait avec peine à se battre contre les vagues. Ce qui deviendrait notre plus dure nuit en mer venait de commencer. Le ciel était d’un noir d’encre, ni lune, ni étoiles pour nous guider. Par chance, nous étions seuls. Aucun signe d’autres bateaux à proximité. Avec Ben, nous nous relayions toutes les heures à la barre. Sofia s’occupait des cartes et nous remontait le moral à coup de thé chaud et de cookies. J’ai appris à garder le sourire dans les moments difficiles. Ça aide (beaucoup) à gérer les situations périlleuses et à prendre les bonnes décisions. Nous avons même passé de la musique pour faire danser cette tempête. De l’intérieur, le bateau paraissait être un lave-linge. Chaque objet devait rester bien en place, sinon il vous aurait volé dessus. A 6h du matin, le ciel s’est éclairci et le vent est tombé. Le silence était palpable. Nos oreilles bourdonnaient et devant nos yeux inondés de sel se déroulait une scène magnifique : un lever de soleil de velours rose. C’était comme si le ciel nous récompensait d’avoir résisté à la tempête. Nous avons relâché toutes les voiles et le génois, nous sommes à nouveau en eaux sures. Cette fois-ci, Sofia arrive avec du pain grille, des œufs et du jus de fruit frais. Fêtons notre victoire et profitons de la vue. J’étais fier du bateau comme de son équipage. Rien n’avait cédé, personne n’était blessé. Ce jour-là, nous avons dormi comme des champions.

Une nuit, je me suis réveillé pour prendre mon quart et j’ai réalisé à quel point nous étions proches d’atteindre notre destination. “Oh ! Enfin !” s’est dit une partie de moi, mais je ne pouvais m’empêcher de ressentir (un peu) de tristesse à l’idée que notre aventure ne tarderait pas à prendre fin. On s’habitue rapidement à vivre loin de tout, totalement injoignable et simplement dans le présent. J’avais pris l’habitude de fonctionner avec les éléments et de m’enthousiasmer des choses les plus simples comme un bon repas, écouter de la musique, prendre le temps de simplement admirer et penser ainsi que de barrer notre bateau. Nous avions organisé nos vies et dans moins de 24 heures, tout changera à nouveau. Mais c’est toute la beauté de la navigation. Elle vous offre une chance de vivre des moments extraordinaires et vous fait apprécier tout ce dont vous disposez. Maintenant, je suis impatient de débarquer du Search et de raconter à tout le monde notre voyage en mer (en dégustant une bière bien fraîche). Comment vais-je commencer notre histoire ? Mes pensées ont été rapidement interrompues par le bruit d’un oiseau : l’ultime signe que la côte est toute proche ! Le soleil se levait et je pouvais clairement distinguer le Fastnet Rock. Maintenant je peux crier « Terre en vue ! ».